Les amateurs de sensations fortes auraient dû s'en douter. Presque s'abstenir. L'attente n'avait trop duré pour qu'elle ne délivre un moment d'exception. L'impatience la disputait finalement à la déception. Les grincheux esquissaient même un léger sourire. Sournois. Narquois. En tapinois. Comme pour rappeler qu'ils ne connaissaient que trop bien ce bougre de « la Desch ». Ce Monsieur la gagne qui hait l'imprévisible autant qu'il goûte la quiétude. Les tourbillons juridico-médiatiques entourant Benzema, Valbuena, Sakho et même sa personne auraient pu fragiliser son aura et son autorité.

Lui a fait face. Gardant le cap et s'exprimant à bon escient. Sans prise de risque ni fausse note. En contrôle. En garant de la maison France. Fidèle à sa ligne directrice. Ne pas succomber à la vox populi et favoriser l'expression collective. Une discipline individuelle qui épouse les contours de sa liste. Si elle ne fait que peu de cas de la forme du moment, ce n'est que pour mieux privilégier la dynamique du groupe. Si elle suit une forme de logique historique, ce n'est que pour mieux ménager les rancœurs personnelles et prévenir les aléas physiques.

Certains auront ainsi sans doute l'audace d'avancer que le classicisme de sa liste rompt finalement à la monotonie des surprises de dernières minutes qui prévalaient ces derniers temps. D'autres (on pense en particulier réservistes dont l'identité est, à n'en pas douter, l'unique surprise de cette soirée) auraient probablement bien aimé la prolonger encore. Le trio des marcheurs sur l'eau, Ben Arfa-Lacazette-Gameiro, doit certainement ruminer le peu d'entrain de Deschamps pour la prise de risque. Sa volonté de doubler les quatre postes défensifs a mécaniquement fermé la porte à un septième élément offensif. Et là encore, le sélectionneur, fidèle à son 4-3-3, avait coché ses noms il y a longtemps de cela.

A la seule exception près de Payet dont la saison en Premier League et plus encore les performances face aux Pays-Bas et à la Russie ont fait de sa présence une évidence. C'est au cœur de cette succession de matchs amicaux du mois de mars que la participation de Jérémy Mathieu avait également participé à entretenir le fantasme d'une ligne défensive à sept. Comme si Deschamps avait voulu maintenir son groupe élargi sous pression. Envoyer le signal que son positionnement sur la question n'était pas figé pour aiguiser la gourmandise de ses possibilités en attaque. Ce n'était que pour mieux tromper son monde et favoriser les intérêts de leur formation...

On en finirait presque par douter de son questionnement même sur le sujet. Le recours à un certain nombre d'éléments en difficulté dans leur club en témoigne. Les sélections de Digne, Cabaye, Sissoko, Giroud voire même de Varane interpellent quand à leur validité sportive. Comment imaginer que ces derniers, après avoir traversé des mois difficiles, aient la capacité à se transcender au cours de l'Euro ? Mais les écarter, c'était renoncer à des idéaux collectifs. Et trahir ses propres convictions. Pas le genre de DD. Qui sait mieux que quiconque que résister à l'appel du talent individuel n'est pas une garantie d'échec.

Tout au contraire. Aimé Jacquet, qui en avait fait son capitaine et son relais, s'était par le passé délibérément privé de Papin, Cantona et Ginola. En cause leur difficile intégration dans un collectif soumis à la rigueur d'un environnement vivant reclus sur lui-même durant de longues semaines. Les doutes du sélectionneur, et même s'il s'en est défendu, quant à la propension de Ben Arfa à endosser ce rôle de joueur sorti du banc ont probablement confiné son horizon à celui de réserviste. Définir une hiérarchie incontestable et incontestée, c'est aussi se préserver de querelles intestines et de frictions entre les titulaires désignés et les remplaçants. Cette philosophie avait conduit la France sur le toit du monde en 98. Dix-huit ans plus tard, trôner sur l'Europe suffira pleinement à la contenter.


Julien Roux

La liste des 23 Bleus

Gardiens : Hugo Lloris  (Tottenham), Steve Mandanda (Marseille), Benoît Costil (Rennes)

Défenseurs : Raphaël Varane (Real Madrid), Laurent Koscielny (Arsenal), Eliaquim Mangala (Man City), Jérémy Mathieu (FC Barcelone), Patrice Evra (Juventus), Bacary Sagna (Man City), Christophe Jallet (Lyon), Lucas Digne (AS Rome)

Milieux : Paul Pogba (Juventus), Blaise Matuidi (Paris SG), Lassana Diarra (Marseille), N’Golo Kanté (Leicester), Yohan Cabaye (Crystal Palace), Moussa Sissoko (Newcastle)

Attaquants : Antoine Griezmann (Atlético Madrid), Dimitri Payet (West Ham), Anthony Martial (Man United), Kingsley Coman (Bayern Munich), Olivier Giroud (Arsenal), André-Pierre Gignac (Tigres)

Réservistes : Alphonse Areola (Villarreal), Hatem Ben Arfa (Nice), Kevin Gameiro (FC Séville), Alexandre Lacazette (Lyon), Adrien Rabiot (Paris SG), Morgan Schneiderlin (Man United), Djibril Sidibé (Lille), Samuel Umtiti (Lyon)