Longtemps, l'Euro ne se sera apparenté qu'à une chimère. Longtemps, il n'aura été qu'un horizon. Lointain. Imperceptible. Insensiblement, il s'est pourtant construit sous nos yeux. Sans que l'on n'y prête attention. Inéluctablement, il s'est aussi inscrit dans nos calendriers. Sans qu'on ne le veuille vraiment. Physique, il s'est matérialisé de ses chef-d’œuvres de béton. Aériens, majestueux, ils sanctuarisent le moment. L'inscrivent dans le temps. Et lui donnent un futur. Un repère. Un toit. Que l'on visite. Touche du doigt. Apprivoise. Curieux ou amoureux, on s'y rend transis d'impatience. Une pelote d'imagination à la main. Les mètres qui nous séparent encore de lui sont alors comme des fils nous rattachant à nos rêves. A nos espérances. Mais aussi à nos craintes. A nos peurs.
On pénètre dans le temple comme on se jette dans l'inconnu. L'éternel recommencement qu'il dessine est un vaccin contre l'ennui et la routine. Celui qui en connaît les moindres recoins y revient par fidélité autant que par conviction. Convaincu d'y prendre un bain d'émotions. Convaincu de s'y oublier dans un tourbillon de passion. Celui qui le découvre pour la première fois s'y attarde comme aimanté par son explosion d'odeurs et de couleurs. C'est sa force. Celle de rassembler, sans toutefois mélanger, un peuple d'individus. Qui, l'espace d'une heure et demi, s'engage dans une aventure commune, sans en partager la totalité de son expérience.
L'Euro sera ainsi. Un événement rassembleur, une parenthèse plus ou moins heureuse qui n'effacera pas les souffrances et les différences. Mais les plongera dans l'oubli. C'est une beauté rare et précieuse. La gâcher aux yeux d'une Europe regroupée à 24 serait un écueil, une erreur impardonnable. Il faut savoir apprécier cette joie collective pour mieux combattre ses peines. Les manifestations de colère et d'injustice, aussi justifiées et guère spontanées soient-elles, ne doivent pas s'arrêter. Mais, au contraire, se mettre en veilleuse pour mieux trouver une issue positive. Les menaces, aussi fortes soient-elles, sont une terreur qui ne doivent pas faire reculer. Mais, au contraire, susciter le regroupement, le partage et l'ouverture.
L'Euro est l'occasion unique de se découvrir à travers son voisin au moment où l'avenir du continent dans sa forme politique est incertaine. Le football le fait vivre. Laissons donc entrer l'Euro dans nos maisons. Goûtons son caractère unique et sa foison de prétendants. Car dans pas longtemps il s'achèvera. Et on regrettera de l'avoir foulé au pied. Vilipendé. Pris de haut. Les Bleus de Deschamps voudront, eux, le prolonger jusqu'au 10 juillet. Pour s'offrir un final en apothéose. Accompagnons-les dans leur mission sans modération.
JULIEN ROUX