Pas facile de se faire un nom, quand on n’en porte pas. Remarquez, la tombe du soldat inconnu est bien devenue un symbole du patrimoine national sans que son identité ne soit « révélée ». La mascotte de l’Euro 2016 peut-elle alors s’offrir un destin similaire et finir par peupler les chambres de millions de jeunes Français ? Si tel était le cas, le coup marketing de ses créateurs serait, à n’en pas douter, salué. L’histoire ne le dit pas encore. Elle retiendra peut-être qu’elle est devenue le support à un sobriquet quelque peu péjoratif à l’instar de Footix (mascotte de la Coupe du Monde 98). En ayant troqué ses habits de coq rigolard pour ceux du super-héros bien attentionné, son but était pourtant clair : se draper d’un visage humain pour effacer l’idée de toute référence historique et favoriser son appropriation auprès de tous. Pas sûr, toutefois, que ce garçonnet soit le parfait ressort d’une identification de tous les enfants de France ? Quelle fut ainsi la réaction de Mohamed ou celle de Moussa à la découverte de sa frimousse blanche ? Se sont-ils instantanément reconnus au travers de cette incarnation de la France ? Rien n’est moins sûr.

A l’heure où le pays cherche à rassembler ses forces pour échapper à la crise multiforme, et notamment identitaire, qui le touche, ce détail physique n’en est pas un. Il vient, en quelque sorte, ranimer par la négative ce mythe né un soir de 12 juillet 98. Celui d’une France Black-Blanc-Beur, unie vers un objectif commun et rassemblée auteur de valeurs partagées. Il renvoie donc un message gommant de sa substance les histoires diverses et les parcours pluriels. Ce football, si souvent décrié pour ses dérives (combien de ses acteurs ont été placés en garde à vue aujourd’hui pour des affaires de malversation ou de corruption ?), et cette équipe nationale, si souvent pointée du doigt pour les "écarts" de ses représentants (combien de joueurs de l’EDF n’ont pas chanté la Marseillaise ce soir face à la Suède ?), avaient, il faut bien l’avouer, fait son possible pour évacuer au plus vite cette notion aussi fédératrice que stigmatisante. Fédératrice, car elle cristallise ce sentiment de force collective malgré les différences. Et stigmatisante, car elle colore sans distinction la figure du « Français de souche » et véhicule une haine de l’autre nauséabonde.

Elle demeure néanmoins une image précieuse et d’une criante actualité. Car voilà, les Bleus ont colporté à travers les époques, l’idée d’une France terre d’accueil où l’intégration par le sport n’était pas seulement une utopie. Les Just Fontaine et Raymond Kopa avaient, en ce sens, ouvert la voie aux générations d’immigrés ou fils d’immigrés futurs. Aujourd’hui, les portes drapeaux de ce caractère multiculturel affirmé, respecté et même vanté, sont Karim Benzema et Paul Pogba. Hier encore, ils s’appelaient Michel Platini ou Zinedine Zidane. Au moment où cette nouvelle génération tricolore, cornaquée par l’ex-capitaine de cette équipe de France Black-Blanc-Beur, propage un vent d’enthousiasme et d’espoir retrouvé, il est fort regrettable que le prochain évènement sportif majeur organisé en France soit porté par une mascotte niant cette référence. Ce bambin, répondant désormais au doux nom de Super Victor, retrouvera-t-il néanmoins des couleurs lors de la compétition ?


JULIEN ROUX