Lens au bord du gouffre 

Leur célébration peut sembler quelque peu démesurée. Elle renvoie surtout l’image d’un bonheur immense. D’un soulagement énorme. D’une joie sans retenue. Comme pour évacuer, l’espace d’un court instant, une frustration bouillonnante. Qui n’en finit plus de s’accumuler. Et se transforme de jour en jour en une peur du lendemain. Après tout, ce clapping n’efface rien. Il rappelle seulement combien joueurs et supporters font corps au cœur d’un combat qui n’est pas le leur. Ce ne sont certes que trois points. Mais ils viennent réchauffer les cœurs, et éclipser des têtes les ennuis financiers du RC Lens. Pour quelques heures seulement. Car comme le rappelle Antoine Kombouaré, l’atmosphère dans laquelle est plongée depuis plusieurs mois le club nordiste est présente dans tous les esprits : « C'était une bonne réponse à ceux qui pensaient qu'on allait lâcher vu les conditions du moment. Je ne connais pas l'issue finale, mais on défendra notre bout jusqu'à la fin […] Les mecs n'ont pas lâché, si on parvient à se maintenir ce sera encore plus fort qu'un titre de champion. »

La satisfaction de l’entraîneur Sang et Or  traduit la menace que son groupe affronte au quotidien. Une menace qui porte le nom effrayent de "dépôt de bilan". Le mot a été lâché, quelques jours plutôt, par le président du RCL. Et répété de nouveau par le ministre des Sports lors d’une visite au Stade Bollaert en cours de rénovation : « Comme l’a dit Gervais Martel, il y a un danger de dépôt de bilan, a rappelé Patrick Kanner. Nous ferons tout, du côté de l’Etat, pour éviter le dépôt de bilan. Il faut une mobilisation générale. » Un soutien dont ne peut se passer les finances nordistes. Exsangues, celles-ci recherchent en vain un peu de respiration. Car voilà, celui censé leur apporter l’oxygène nécessaire à leur survie se fait de plus en plus en discret. Aussi apparaît-il désormais certain que les ressources d’Haziz Mammadov ne pourront assurer l’avenir du Racing.

Le milliardaire azéri, qui avait racheté le club quelques mois auparavant et l’avait déjà sauvé d’une rétrogradation administrative en injectant pas moins de 21,5 M€ dans les caisses, ne remettra en effet pas la main à la poche. La raison ? Lui-même se trouve en proie à de gros problèmes financiers comme l’a indiqué le ministre des Sports azerbaidjanais, Azad Rahimov : « Hafiz Mammadov a connu quelques difficultés en bourse. Il est en banqueroute. J’ai entendu dire également que certains de ses projets, notamment dans le transport et le pétrole, ont connu des complications financières. Nous avons promis à monsieur Martel que nous ferons de notre mieux pour l’aider à supporter ses problèmes. Nous serons très contents quand l’affaire sera réglée. En ce moment, les relations entre l’Azerbaïdjan et la France sont vraiment excellentes. Et aucun nuage ne doit venir perturber cette entente cordiale. »

Car voilà, à quelques moins des jeux européens organisés à Bakou et à un an de l’Euro 2016 sponsorisé notamment par… SOCAR (State Oil Company of Azerbaijan Republic, la compagnie nationale pétrolière et gazière d'Azerbaïdjan), le petit état du Caucase a une image à soigner et une réputation à acheter. En clair, il fera son possible pour venir à la rescousse du club artésien. Mais le temps presse. Et la date du prochain passage à la DNCG des Nordistes se fait de plus en plus pressante. Au 15 décembre prochain, s’il n’a pas trouvé 2,5 M€, il pourrait être placé en cessation de paiement par le gendarme du football français. Une issue que prédisait déjà son président, Richard Olivier, au cœur de l’été. A l’époque, Lens n’avait dû son sauvetage qu’à la conciliation du CNOSF… Ce que n’avait très peu goûté la DNCG si l’on en croit pas les propos d’Olivier.

« Regardez Lens : pour moi, c'est le cas du Mans il y a deux ans. Lens ira-t-il au bout de la saison ? Je ne le crois pas malheureusement. Les faits nous ont toujours donné raison. » Difficile aujourd’hui de lui donner tort. Certains supporters lensois, lassés des promesses sans lendemain, ont d’ailleurs laissé éclater leur colère en provoquant l’arrêt temporaire du match face à Lens. A la Licorne, leur maison d’infortune, quelques individus ont sorti des pancartes injurieuses et un brin provocatrices à l’encontre de Mammadov (« Hafiz de p… ») et de Martel. Avant de jeter plusieurs fumigènes sur la pelouse. A cet instant-là, le score était de 0-0. C’était avant que Bourigeaud ne se charge de tout. D’adresser d’abord un centre décisif pour la tête d’El-Jadeyaoui. Puis de marquer en reprenant d’une tête décroisée un ballon de Baal. Avant, enfin, de se munir d’un mégaphone afin de lancer clapping…

JULIEN ROUX