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J35 : LE Joueur
J35 : LE Joueur

André-Pierre Gignac

Dans son regard, sa détermination dit beaucoup de sa frustration. Sa célébration dessine un cri du cœur en forme de libération. Ses mots hurlent une rage intérieure enfin extériorisée. « Je ne vous lâche pas, moi… » Ses yeux, plantés dans ceux des ultras marseillais, ne regardent plus au loin. Ils dévorent, à l’inverse, l’instant présent. Refusant de se projeter sur une fin pourtant devenue inéluctable. Le contrat de l’enfant de Martigues s’achève au soir de la 38e journée. Et l’histoire avec son club de cœur aussi.

Un amour de cinq années qui aura constamment vécu dans le déchirement fusionnel. « A Marseille, on aura vu les deux Gignac, synthétise José Anigo. Le premier, qui s’est fait broyer pendant deux ans (2010-2012) par les supporters. Le second, qui a affiché une force mentale hallucinante pour revenir. C’est un exemple à montrer aux joueurs en difficulté. » Passé un état de grâce qui s’est consommé aussi vite que les espoirs suscités par un transfert estimé à 20 millions et un salaire mensuel à 300 000€, Gignac a entamé un combat sur plusieurs fronts qui lui a pourri son quotidien autant qui l’a nourri.

« Il y a deux facteurs qui ont été importants, détaille Jean-Christophe Cano, son agent. Un : il était blessé en arrivant, et il s'est re-blessé rapidement car il a voulu reprendre trop vite. Et de deux, quand il est arrivé, il était dévoré par la passion. Signer dans ce club, c'était quelque chose d'important pour lui. Il a grandi avec ce rêve de jouer un jour à l'Olympique de Marseille, et quand il est arrivé, il n'a pas su gérer tout ça. Je l'avais pourtant prévenu, mais il a été pris au piège d'un garçon qui découvrait un univers qui le dépassait complètement. L'OM, c'est une montagne à franchir, et c'est une ville qui aspire. Elle tend de nombreux pièges dans lesquels il est tombé. »

L’homme au « sang bleu et blanc », noyé dans les tourments, en convient 6 mois seulement après sa signature, dans un mea-culpa rare de sincérité. « Je n’ai pas fait ce qu’il fallait, assume-t-il. J’étais un peu moins professionnel que je pouvais l’être auparavant. » Difficile en effet pour lui de masquer une silhouette aux rondeurs de plus en plus généreuses. Ses statistiques maigrichonnes ouvrent l’appétit de ses détracteurs. Qui l’affublent dès lors du sobriquet, riche en calories, « Un Big Mac pour Gignac ». Son changement d’adresse qui l’éloigne de ses proches autant qui le rapproche de la Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM, est un premier pas sur le chemin de la rédemption.

Insuffisant toutefois. A l’intersaison, son club l’invite à se rendre à Merano pour y suivre une cure d’amincissement. L’information fuite. Son sang ne fait qu’un tour. Il en fait un second lorsqu’il apprend que ses dirigeants le poussent à la sortie. Au dernier jour du mercato, il est prié de traverser la Manche pour négocier un prêt avec Fulham. Son remplaçant désigné, Amauri, fait faux-bond. La faute à une surenchère de son agent. Dans l’urgence, Gignac est rapatrié sur les bords de la Méditerranée. Sa rancœur en bandoulière. Il la trimballera toute la saison.

En silence d’abord. Puis, sous la forme d’une défiance totale envers son entraîneur qui avait voulu s’attacher les services de Luis Fabiano un an plus tôt. Et enfin, en des paroles peu amènes. A quelques jours d’un Clasico rendu brûlant par les contre-performances à répétition de l’OM et par l'imminence d'une rencontre décisive face à l’Olympiakos en Ligue des Champions, Gignac explose. Après avoir masqué cahin-caha ses émotions, il ne parvient plus à contenir sa colère quand Deschamps lui annonce qu’il sera de nouveau laissé sur le banc pour le déplacement en Grèce. Furibond, il envoie valdinguer une bouteille d’eau.

Convoqué le lendemain par son coach pour un entretien individuel, il ne s’y présente pas. Dans le vestiaire, la tension est palpable. Et les nerfs à fleur de peau. Vexé par cette remise en cause de son autorité, l’entraîneur olympien prend la parole dans un silence glaçant. Le ton est ferme. Le message sans équivoque. Deschamps exige de Gignac qui le vouvoie. Ce dernier, fier, ne se démonte pas. « Je te vouvoierai quand tu ne me tutoieras plus. ». Avant de préciser sa pensée. « Arrête de faire des enculeries à tout le monde ». Référence, à peine voilée, au traitement réservé à son ami Benoît Cheyrou, qu’il considère injuste.

La fronde n’est ni suivie ni contredite par ses coéquipiers. Isolé face à Gignac, le champion du Monde 98 décide de l’exclure du groupe pro jusqu’à nouvel ordre. Sans lui, l’OM martyrise le PSG (3-0). Il traverse alors le restant de la saison dans l’indifférence. A soigner ses douleurs physiques et à regarder, impuissant, ses partenaires depuis le banc. Pour la dernière de Deschamps, Gignac est néanmoins titulaire. Le brassard de capitaine au bras. Une anomalie au regard de leur relation glaciale. Un vulgaire bout de tissu qui incarne aujourd’hui le point de départ du renouveau de Gignac.

Sous les ordres d’Elie Baup, il retrouve, contre toute-attente, son appétit et son sens du but, à l’instar de son doublé face au Paris d’Ibra. Et l’OM, la Ligue des Champions à la suite d’une saison aboutie et conclue à la deuxième place. L’exercice suivant, première phase du « projet Dortmund » cher au président Labrune, se révèle plus destructeur que bâtisseur. Le maîytre d'ouvrage à la casquette, désigné responsable de la faillite collective, est renvoyé. Au grand dam de Gignac. José Anigo, l’enfant du club, est appelé à la rescousse pour sauver ce qui peut encore l’être.

Dans cette mission, il s’appuie notamment sur Gignac. « C'est un affectif, et j'en suis un aussi, donc je sais comment il fonctionne, dit l’ancien directeur sportif marseillais. Il a besoin de considération. C’est un personnage important dans le groupe. Un gars facile à gérer à partir du moment où l’on est clair avec lui. Et puis son amour pour l’OM, ce n’est pas du pipeau. » Le cambriolage dont il est victime à sa villa de Cassis en fin de saison non plus… Cela n’entame pas la foi de « APG », en dépit de l’arrivée de Michy Batshuayi présenté comme son successeur à la pointe de l’attaque phocéenne.

Conforté par l’intronisation de Marcelo Bielsa dont la réputation d’homme au franc-parler et au caractère total lui plaît, il se projette dans sa dernière année de contrat le moral gonflé à bloc. « Je sais tout sur toi, lui dit l’Argentin, droit dans les yeux. Tu vas perdre 2 kilos et cette saison tu vas marquer 25 buts. » Auteur d’une préparation remarquable, Gignac marche sur les prédictions de son coach en claquant but sur but. « C'est un joueur qui donne envie aux autres, au niveau du moral et de l'envie, affirme El Loco. Il aide à faire passer ce message d'engagement au sein de l'équipe. »

Fatigué mentalement et usé physiquement par les méthodes du Sud-américain, il marque sensiblement le pas au cœur de l’hiver. A l’image de son équipe. La courbe des résultats s’inverse. Et Gignac perd sa place au profit de l’espoir belge. Pas vraiment du goût du Martégal. Qui voit la fin de son histoire marseillaise se rapprocher. Débordé par l’émotion et l’envie de croquer à pleine dent dans ces derniers instants, Gignac pique sa crise. Un accès de colère qui se manifeste lors de la mise en place de veille de match face à Caen.

Aligné dans l’équipe des remplaçants, il quitte la mise au vert. Bielsa, muet jusque-là sur ses intentions, l’appelle personnellement quelques heures plus tard pour aplanir la situation. Un événement qui n’est pas sans rappeler l’altercation qui l’avait opposée à Brice Dja Djé Djé, quelques semaines plus tôt. Son poing avait alors atterri dans la face de son coéquipier. A Saint-Symphorien, après avoir trompé M’Fa, ce même poing frappe son cœur. En cadence. L’OM ne sera pas champion. Mais lui vient de franchir la barre des 100 buts en Ligue 1*. Une façon de (se) prouver qu’il n’aura rien lâché.

JULIEN ROUX

2015-05-06 14:05:08
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