LeFoot.fr : Actus, Live, Résultats, Vidéos & Stats
LeFoot.fr

La passion du football depuis 2001

NOUVELLES SPORTS - LIGUE 1
Bielsa, la folie au corps
Bielsa, la folie au corps

Marcelo Bielsa s’en est allé comme il est arrivé. En drapant ses pas d’une bonne dose d’interrogation. Une façon, comme une autre, de colorer son personnage d’une teinte donnant dans le mystère. Celle-là même qui a peint sa légende. Méticuleux à l’obsession, il a orchestré sa sortie à la manière d’un metteur en scène. Le pitch n’avait d’autre fil conducteur que la mise en valeur de son personnage principal. Lui-même. La conférence d’après-match s’étirait.

Comme à son habitude, le technicien argentin ne jetait aucun regard à son assistance. Comme à son habitude, un soir de défaite, il ne reculait pas devant ses responsabilités et refusait d’incriminer ses joueurs. Les couloirs du Vélodrome se clairsemaient devant ses airs de déjà-vu. La stupeur se chargeait alors de réveiller les seconds rôles. Le one man show Bielsa donnait sa derrière. Sa tournée marseillaise ne connaîtra donc pas sa 2ème saison. Les mots, laconiques, tranchaient singulièrement avec ceux délivrés lors de sa précédente performance.

Deux jours plus tôt, à la veille de la première et devant un parterre similaire, il avait fait part de son enthousiasme à l’idée de prolonger ses représentations. Seuls certains détails tout à fait mineurs empêcher son officialisation. Elle n’aura jamais vu le jour. El Loco y préférant la démission. Une décision que Vincent Labrune n’a eu d’autre choix que d’accepter. Lui qui s’était pourtant démené des mois durant pour satisfaire aux moindres desiderata de sa tête d’affiche.

La pression populaire, née du magnétisme suscitée par la personnalité de l’Argentin, ne lui autorisait aucune autre ligne de conduite. Quand la réalité économique du club olympien et les grandes lignes de gestion établies par Margarita Louis-Dreyfus lui rappelaient à l’inverse l’urgence de réduire les excès. Dans un périlleux numéro d’équilibriste, le président marseillais avait su répondre aux exigences imprimées par ces forces contraires. L’un des deux papiers consciencieusement posés sur le pupitre de Bielsa, jeudi dernier, ne disait pas autre chose.

« Nous avons remplacé Ayew par Sarr, Nkoudou remplace Gignac, Rekik remplace Morel, Manquillo remplace Fanni, Diarra remplace Imbula. L'absence de Payet n'a pas encore été compensée. » Sans doute la venue d’Abou Diaby était, elle, consignée sur son autre feuille. A moins qu’il ne s’agissait déjà de sa lettre de démission rédigée la veille au soir*. L’enchaînement des événements qui a suivi peut porter à la croire. Il tend néanmoins à patiner le message d’El Loco d’un brin de scepticisme sur les capacités de son désormais ex-effectif à répondre aux ambitions affichées par sa direction. Peut-être se savait-il déjà loin de la Canebière…

Son analyse du marché des transferts marseillais n’avait pourtant que très peu à voir avec celle livrée la saison dernière. A l’époque, il n’avait pas fait mystère de son désaccord, prenant à parti la direction de l’OM sans détour : « Le bilan de ce mercato est négatif, tançait l’Argentin. Je crois que le président m’a fait des promesses qu’il savait qu’il n’allait pas tenir. Si tout cela m’avait été dit avec sincérité, je l’aurais accepté. Mais dans le cas contraire, je ressens un sentiment de rébellion. Mais je le répète, je vais assumer avec joie et optimisme le challenge qui est devant moi, mais le mode de fonctionnement du club me déçoit. »

L’acquisition de l’international Espoirs brésilien, Doria, contre son avis en témoigne. Acheté 8 millions d’euros, il n’aura pas disputé le moindre match sous ses ordres. Un épisode qui symbolise l’intransigeance de Bielsa. Un autre souligne, lui, son exigence au quotidien. « Aucun joueur n'est arrivé sur ma décision, releva-t-il ce jour-là. J'ai proposé douze options et aucune ne s'est concrétisée. » Moins d’un an plus tard, son président lui avait mis à disposition trois d’entre eux (Ocampos, Manquillo et Rekik). Une exigence de travail qu’il impose également à ses adjoints.

Avant de se retirer dans son Rosario natal, il leur avait confié la tâche de visionner les 38 matchs de championnat de l’OM et de relever les 2 meilleurs joueurs évoluant chez l’adversaire. Deux furent achetés à l’intersaison (Sarr et Nkoudou). Dans les années 80 alors qu’il vient tout juste d’intégrer la cellule de recrutement de Rosario, il parcoure ainsi l’Argentine de long en large. A bord de sa Fiat, il compile informations et anecdotes auprès de la personne connaissant le mieux le club du coin à chacune des villes et autres villages qu’il traverse.

« Si j'ai besoin d'un buteur gaucher de grande taille, je l'ai dans mon carnet, précise Bielsa. Si chez lui, il n'y a pas de téléphone, j'ai le numéro du magasin le plus proche où je peux l'appeler. Ou celui du marchand de journaux, du coiffeur. » Des bruits racontent, aujourd’hui encore, qu’il avait débarqué en pleine nuit dans la résidence des parents d’un jeune phénomène de 13 ans sévissant dans la province de Santa Fe. Il voulait constater de visu l’état physique des jambes du môme… Il s’agissait de l’ancien Parisien Mauricio Pochettino. Une méthode singulière. Atypique. Qui a bâti son charme. Sa légende. Sans concession, ni compromis. Un modèle unique qui influe sur les destinés. Un style qu’il a transmis à chacune de ses équipes. Marseille y compris.

C’est dans cette transmission que le génie de Bielsa est à dénicher. Dans cette faculté à assumer ses principes et les mettre en musique. Sans jamais les renier. C’est également sa faiblesse. « J'ai eu exactement le même sentiment à chacune de ces rencontres (en référence aux finales de Copa del Rey et d’Europa League disputées par l’Athletic Bilbao), dévoile Oscar Scalona, un de ses amis d’enfance. Je souffrais, je priais pour que Marcelo renonce à ses principes l'espace d'une soirée. Que ses joueurs balancent de longs ballons pour faire sauter la pression adverse. Mais non, ses équipes étaient à son image: géniales, merveilleuses, authentiques, mais incapables de changer. La rigidité et l'exigence de Marcelo finissent par le trahir, et poussent ses équipes au suicide. »

Le romantisme de ses formations, convoquant parfois à l’héroïsme et au don de soi, connaisse un destin tragique. Synthèse sans rature de son unique saison à la tête de l’Olympique de Marseille. Tantôt brillant, donnant le tournis à ses adversaires dans une symphonie bielsiste agonisante, tantôt absent, engoncé dans des consignes irrespirables. Mais toujours à la limite. Quelque part à mi-chemin entre la fusion avec son groupe, charmé par son authenticité, et l’émergence de l’usure avec celui-ci, lassé par son manque de remise en cause.

« Lors des entraînements, il se concentrait toujours sur l’intensité, confie Ricardo Lunari, ancien milieu de Bielsa aux Newell’s Old Boys. Pour réaliser l’impossible, on travaillait jusqu’à cinq heures par jour. Et on pouvait répéter le même exercice dix jours de suite avec la même intensité. Au final, on arrivait à obtenir ce qu’il voulait. » Faire toujours la même chose en convoitant un résultat différent. Une folie diront certains. Une Bielsa diront désormais Labrune et consorts. « Si les joueurs n’étaient pas humains, je ne perdrais jamais » version El Loco.

Un terrible aveu d’impuissance également. Conscient que son plan, aussi infaillible soit-il, est aussi inapplicable sur la durée. Il se sera attelé à prouver le contraire durant 14 mois à Marseille. Se retirant à la suite d’une brouille ayant pour origine la volonté des avocats de MLD d’inclure une clause de résultat à la prolongation automatique de son contrat. Tout simplement inacceptable pour Bielsa. Offensé que son travail puisse être valorisé à l’aune unique d’un simple classement. Qu’il se rassure néanmoins. L’héritage que son passage laissera en France ne se résumera pas seulement à une vulgaire glacière en plastique renfermant ses secrets.   

* Pour retrouver la conférence de presse de Marcelo Bielsa et sa lettre de démission en intégralité, cliquez ici
 
Julien Roux 

2015-08-17 19:19:50
Suivez toutes les compétitions avec LeFoot.fr